Les data centers : le cœur battant du numérique
Dès les débuts de l’informatique — et plus encore depuis sa démocratisation et sa montée en puissance —, la question du traitement, de l’archivage et de la préservation des données numériques constitue une préoccupation majeure pour les entreprises comme pour les particuliers. Disquette souple, disque dur, CD-ROM, puis serveurs internes… et désormais data centers : les outils de process et de sauvegarde ont évolué parallèlement à la croissance exponentielle des usages.
Aujourd’hui, le marché des data centers poursuit son développement et les défis sont multiples : répondre à la diversité et à l’explosion des demandes à l’heure où l’intelligence artificielle s’impose dans notre quotidien, maîtriser la consommation énergétique (électricité et eau), adapter les technologies dans une logique de décarbonation et de sobriété, préserver la souveraineté numérique dans un contexte de fortes tensions.
Un peu d’histoire
Les data centers, en tant qu’hébergeurs et gestionnaires de données massives, sont apparus dans les années 1990 avec l’arrivée d’Internet dans nos foyers. Les années 2000 marquent une nouvelle étape de leur développement avec la montée en puissance des GAFAM. Les géants de la Tech sont contraints de construire des centres toujours plus performants pour faire face à la croissance exponentielle des données qu’ils génèrent eux-mêmes. Durant la décennie suivante, la généralisation du modèle du cloud, qui permet de stocker un volume toujours plus important de données à grande échelle, marque une autre évolution majeure : l’émergence des data centers dits « hyperscales », capables d’héberger des centaines de milliers de serveurs. Aujourd’hui, le recours quotidien et de plus en plus systématique à l’intelligence artificielle, par les entreprises comme par les ménages, bouleverse encore la donne et fait bondir les prévisions de consommation énergétique et d’emprise foncière.
95% d’électricité décarbonée
Mais, contrairement à certaines craintes, le secteur des data centers se diversifie, s’adapte, privilégie les énergies renouvelables et s’ouvre à l’économie circulaire. En France, comme l’affirme Michaël Reffay, Délégué Général de France DataCenter, « les data centers sont alimentés à 95% par de l’électricité décarbonée issue du nucléaire et des énergies renouvelables ». De même, de nombreux acteurs de la filière, comme le groupe Prysmian, s’attachent à privilégier l’usage de matériaux recyclés, comme c’est le cas avec le cuivre utilisé dans la fabrication de la fibre optique.
Dans ce cadre, l’utilité stratégique des data centers n’est pas contestable. Le traitement et la gestion des données constituent un facteur de progrès pour de multiples usages publics et privés : santé et recherche médicale, innovation technologique et numérique, éducation, transition énergétique, services publics ou encore sécurité des populations. C’est pourquoi il est vital de les protéger, tout particulièrement face aux risques de défaillance technologique et, plus encore, face aux menaces de cyberattaques qui se multiplient chaque jour.
Une typologie en pleine segmentation
Dans cette dynamique, la typologie des data centers s’est segmentée pour s’adapter aux nouvelles exigences. On distingue quatre grandes catégories d’équipements selon leur taille et leurs cibles :
- Les hyperscales, infrastructures colossales conçues pour stocker les données des grands clouds et des géants du numérique (Google, Amazon, Meta, Apple, Microsoft, Oracle, IBM, ainsi que leurs équivalents chinois). Ceux-ci occupent d’importantes surfaces foncières et ont de plus en plus besoin d’être adossés à des centrales électriques dédiées.
- Les data centers de colocation, tels Data4, Equinix et DLR, aménagés par des investisseurs pour héberger les données de plusieurs entreprises ou collectivités.
- Les data centers dédiés à une unique entreprise ou à un secteur d’activité sensible (sécurité d’État, banque, énergie…), pour des raisons de volume de données, de confidentialité ou de souveraineté.
- Les data centers de proximité (edge data centers), situés le plus souvent en périphérie des villes, proches de leurs clients, afin de fluidifier les échanges, de réduire la latence et de servir de relais avec des centres plus importants.
Un hyperscale peut développer une puissance électrique d’une centaine de MW, alors que celle d’un data center de proximité est comprise entre 50 et 500KW en moyenne, voire quelques MW pour les plus importants. De même, sa consommation peut être comparée à celle d’une ville de 1000 000 habitants.
« Entre un hyperscale et un edge data center, les dimensions sont sans commune mesure. Chaque catégorie est complémentaire de l’autre et correspond à un besoin spécifique », souligne Antoine Fournier, Président de Thésée DataCenter.
Des projets régionaux
Même si le marché mondial reste dominé par les géants de la Tech, la tendance est à la diversification et à la construction de data centers régionaux ou spécialisés. Ce mouvement favorise l’émergence de projets originaux et adaptés à des besoins locaux — à l’image de Thésée DataCenter, qui, comme l’explique son Président, « est né de la rencontre entre une collectivité (Aubergenville – Yvelines) et un besoin identifié sur un bassin d’activité de l’ouest parisien. »
Ces équipements de proximité peuvent offrir un niveau de sécurité équivalent à celui des data centers les plus performants. « Nous sommes labellisés Tier IV. Cela signifie que notre système continue à fonctionner même en cas de panne et qu’en ce sens, nous garantissons une disponibilité maximale », précise Antoine Fournier.
Indéniablement, ces data centers de proximité ont tous les atouts pour séduire les entreprises, en particulier les PME, qui hésitent encore à externaliser leurs données au risque de saturer leurs serveurs internes.
Une dynamique économique forte
Le poids économique du marché des data centers est en constante croissance. Selon Synergy Research Group, les investissements mondiaux atteignent en moyenne 100 milliards de dollars par an. Michaël Reffay précise que le chiffre d’affaires annuel généré par la gestion des data centers devrait dépasser les 500 milliards de dollars d’ici 2030 : « Dès à présent, la croissance annuelle de ce secteur d’activité est à deux chiffres et la dynamique s’amplifie. »
« En France, la construction et la gestion des data centers génèrent plus de 50 000 emplois directs et induits, dont 90% de CDI sur des postes qualifiés », poursuit le Délégué Général de France DataCenter. Son association, qui fédère l’ensemble des acteurs de la filière, accueille de plus en plus de secteurs d’activités : opérateurs, fournisseurs d’énergie, industriels du bâtiment, logisticiens, informaticiens, banquiers, groupes de travaux publics… et, bien sûr, gestionnaires de data centers. « Un véritable écosystème s’est structuré. »
C’est dans cet esprit d’échanges et de développement de nouvelles coopérations que le groupe Prysmian a récemment adhéré à France DataCenter.


Une filière française en bonne position
« Notre pays, qui compte plus de 300 data centers, se place actuellement sur la troisième marche du podium européen, derrière la Grande-Bretagne et l’Allemagne, précise Michaël Reffay. Notre filière est dans une bonne dynamique et nous disposons d’une belle marge de progression, notamment en matière de recours au cloud. Dans cette perspective, nous bénéficions de l’appui des pouvoirs publics, notamment à travers des dispositifs fiscaux encourageant l’investissement dans la filière. »
La France dispose également d’un atout géographique qu’elle peut exploiter davantage : l’étendue de son littoral. En effet, les data centers s’appuient de plus en plus sur la proximité des câbles sous-marins, véritables artères du trafic Internet, ce qui encourage les investisseurs à implanter les bâtiments au plus près des côtes.
Après que l’Irlande et les Pays-Bas ont temporairement imposé des restrictions à la construction de nouveaux data centers pour cause de surconsommation électrique, l’Espagne et le Maroc sont devenus les destinations les plus prisées. Dans ce contexte, la France a une belle carte à jouer, sur la façade atlantique comme en Méditerranée. Ainsi, lors du sommet Choose France de 2024, Microsoft a annoncé qu’il allait investir près de 6 milliards d’euros dans le développement de data centers sur le territoire français : un record !
« Notre ambition est de faire de la France la première terre d’accueil de data centers en Europe », affirme Michaël Reffay.
Des défis énergétiques et environnementaux majeurs
À l’image des moratoires instaurés par les gouvernements irlandais et néerlandais, la consommation électrique des data centers est au cœur des enjeux technologiques de la filière. Ces infrastructures, en particulier les hyperscales, requièrent d’importantes quantités d’énergie pour alimenter à la fois les bâtiments en haute tension et les salles de serveurs en moyenne et basse tension.
Selon une étude de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les data centers représentent aujourd’hui environ 1,5% de la consommation électrique mondiale (2,5% pour la France), une part qui pourrait atteindre 3% d’ici 2030 du fait du développement de l’IA.
Même largement décarbonée, cette énergie interroge la capacité de nos réseaux à absorber une telle croissance.
« C’est pourquoi l’un des objectifs de la filière et des pouvoirs publics est de continuer à réduire le Power Usage Effectiveness (PUE) », explique Antoine Fournier. Le PUE exprime le rapport entre l’énergie totale consommée par un data center et celle réellement utilisée par les équipements informatiques. Un PUE égal à 1 signifierait que toute l’énergie est dédiée aux serveurs, sans perte liée au refroidissement, à l’éclairage ou à la ventilation. « Il y a quinze ans, ce ratio était de 2. Aujourd’hui, il avoisine 1,4, et nous pouvons raisonnablement viser 1,3 ».
Pour y parvenir, les gestionnaires de réseaux, notamment RTE et Enedis, déploient des solutions innovantes en termes d’efficacité énergétique. Le groupe Prysmian les accompagne dans cette démarche, qui s’appuie sur le développement des énergies renouvelables et décarbonées, ainsi que sur la conception de câbles toujours plus performants et durables. RTE investit, ainsi, 300 millions d’euros dans l’accueil des data centers en France.
« Le débit fourni par les énergies renouvelables peut s’avérer plus instable. Nous devons donc proposer des produits hyper-sécurisés et particulièrement résistants, notamment aux variations de température », souligne Patrick Sanchez, Directeur du département Power Distribution pour l’Europe chez Prysmian.
« Ce développement nécessite également un travail en amont de très grande ampleur pour déployer les liens d’interconnexions en fibre optique indispensables au raccordement de tous ces data centers entre eux et au réseau internet mondial. Ce maillage numérique très haut débit du territoire implique le déploiement de millions de câbles à très forte contenance en fibre optique », précise Marc Leblanc, Directeur commercial France Solutions Digitales du groupe Prysmian.
Vers des data centers plus sobres et résilients
Dans cette même logique, les industriels travaillent à la récupération de la chaleur dégagée par les serveurs. Grâce à des échangeurs thermiques, cette chaleur peut être utilisée pour alimenter des pompes à chaleur ou des réseaux urbains, mais aussi réinjectée dans le processus de refroidissement. Ces dispositifs contribuent à réduire la consommation électrique des data centers.
Autre enjeu : la limitation de la consommation d’eau nécessaire au refroidissement. Les équipes de R&D développent des solutions de plus en plus performantes : utilisation d’air extérieur (free cooling), refroidissement en circuit fermé et optimisation énergétique des serveurs. « La France est très vertueuse sur cette question. En effet, la consommation en eau des data centers ne représente que 0,002% de la consommation totale d’eau dans le pays », précise Michaël Reffay.
Enfin, la question de la souveraineté numérique s’impose : comment protéger les données sensibles — sécurité, défense, innovation — alors que 92% des données des particuliers (B to C) des pays occidentaux étaient stockées aux États-Unis avant la pandémie de Covid ? Le développement de data centers de proximité, ancrés sur le territoire national, constitue à ce titre une priorité stratégique.
Un avenir prometteur, mais sous haute vigilance
Avec le déploiement de l’intelligence artificielle, la multiplication des usages numériques et l’externalisation croissante du stockage des données, le marché des data centers a, de toute évidence, de beaux jours devant lui… tout en ayant l’obligation de trouver de nouvelles solutions pour limiter ses consommations d’électricité et d’eau.
Des défis passionnants et stratégiques en perspective.



